Le 7 octobre et les failles d’un équilibre illusoire – David Bensoussan
Le 7 octobre et les failles d’un équilibre illusoire
David Bensoussan
L’auteur est professeur de sciences à l’Université du Québec
Le 7 octobre 2023 restera comme un moment de rupture profonde dans l’histoire contemporaine d’Israël et du Moyen-Orient. L’attaque meurtrière du Hamas n’a pas seulement fauché des vies : elle a ravivé, au sein de la société israélienne, une mémoire collective marquée par des siècles de persécutions et de vulnérabilité. Depuis des décennies, un fragile équilibre prévalait : tolérer des épisodes de violence cyclique pour éviter une confrontation majeure dans la bande de Gaza, l’un des territoires les plus densément habités au monde.
Cet équilibre s’est révélé illusoire. Les sommes considérables investies à Gaza n’ont pas donné naissance aux infrastructures ou aux industries civiles que beaucoup espéraient. Elles ont plutôt alimenté la construction de tunnels fortifiés, d’arsenaux et d’un appareil idéologique hostile. Pour Israël, cette prise de conscience a été brutale.
Une riposte sous tensions morales et stratégiques
Trois semaines après les attaques, Israël a lancé une opération militaire de grande ampleur visant à libérer les otages et à démanteler les capacités du Hamas. Les combats en milieu urbain, particulièrement dans un territoire aussi densément peuplé, ont entraîné des pertes civiles, inévitables mais profondément tragiques.
Tsahal a aussi été confrontée à un phénomène difficile à appréhender : une population dont une partie, selon les autorités israéliennes, aurait été endoctrinée à glorifier le martyr. Le Hamas, de son côté, est accusé d’avoir empêché les civils d’accéder aux infrastructures souterraines conçues pour protéger exclusivement ses combattants, espérant tirer profit d’une guerre de perceptions autant que d’une guerre de positions.
Une région reconfigurée
La crise ne s’est pas limitée à Gaza. Au nord, le Hezbollah — fort de son arsenal estimé à 150 000 missiles — a intensifié ses tirs, forçant l’évacuation de vastes zones israéliennes. La riposte, ciblée contre des cadres de la milice libanaise, a marqué un tournant.
En Syrie, l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement dominé par un ancien djihadiste et les attaques contre des minorités vulnérables ont poussé Israël à s’impliquer plus directement. Le pays a soutenu les communautés druzes du sud-est et cherché à empêcher la formation d’un nouveau foyer de groupes armés à sa frontière, tout en surveillant de près les ambitions turques dans la région.
L’ombre portée de Téhéran
L’Iran, qui depuis 1979 fait de l’hostilité envers Israël un élément central de sa rhétorique politique, est resté au cœur du jeu. Plusieurs installations nucléaires ont été visées, tout comme des positions des Gardiens de la Révolution. Les États-Unis ont joué un rôle clé en déployant des moyens militaires capables de frapper les sites souterrains. L’ensemble de ces actions a sensiblement réduit — du moins pour un temps — les capacités régionales de Téhéran.
Un nouvel ordre incertain
Cette séquence a laissé dans son sillage un mélange de soulagement tant en Israël que dans les États du Golfe. Israël souhaite empêcher que des conditions semblables à celles qui ont conduit au 7 octobre se reproduisent. Au Liban comme en Syrie, la volonté israélienne d’établir des zones tampons reflète cette détermination.
Le désarmement du Hamas, inscrit dans les arrangements entourant le cessez-le-feu soutenu par Washington, n’est toutefois pas encore une réalité. La trêve demeure précaire, et les espoirs de stabilisation demeurent fragiles.
Sur le plan diplomatique, la Ligue arabe et le Conseil de sécurité de l’ONU ont finalement adopté le plan en vingt points proposé par Donald Trump, signe d’un réalignement régional significatif où Israël apparaît plus sûr de lui que par le passé. Mais cette recomposition n’efface en rien la persistance des tensions. Ainsi, lorsque le Hamas a revendiqué depuis le Qatar le meurtre de deux civils israéliens à Jérusalem, Israël a répliqué le jour même en frappant des installations liées au mouvement à Doha — un rappel de la rapidité avec laquelle un seul incident peut aujourd’hui précipiter une escalade.
L’administration Trump, pour sa part, s’emploie à resserrer les liens entre Israël et les monarchies du Golfe, tout en invitant d’autres pays à rejoindre les accords d’Abraham. Cette stratégie vise aussi à contenir l’influence de la Chine, dont l’économie demeure fortement tributaire des approvisionnements énergétiques du Moyen-Orient.
Reste que la sécurité durable de la région dépendra d’enjeux plus profonds : la gouvernance de Gaza, la prévention d’un retour de groupes armés et, surtout, la lutte contre un enseignement de la haine qui continue d’alimenter la radicalisation. Tant que ces facteurs resteront présents, la paix demeurera fragile. Le 7 octobre en a rappelé, avec brutalité, les conséquences potentielles.
