Madame Bronstein, par Charles Benarroch

immortalite
Madame Bronstein, par Charles Benarroch
 
 
 
 
 
Dans mon journal quotidien un intertitre en caractère gras, qu’un lecteur même un peu distrait comme moi ne pourrait louper…
« Devenez Immortel en sept semaines ! »
L’injonction placée à quelques lignes de la rubrique nécrologique était troublante. Cette proximité m’a renvoyé à l’ingénieuse idée pour un mendiant malin, d’installer bol et chien famélique aux pieds d’un distributeur de billets. Il transforme ainsi chaque utilisateur, en bourge bourré de mauvaise conscience, tout prêt à lâcher quelques sous pour se déculpabiliser
Hum ! Si cette annonce n’est pas une mystification, si elle émane d’une organisation sérieuse, elle est une promesse tellement alléchante, qu’il y aura bientôt foule j’imagine…
Je serais bien avisé de souscrire rapidement à une proposition qui risque de métamorphoser ma vie aussi radicalement.
D’autant plus que le prix du stage, formation et hébergement compris, ne paraît pas exorbitant.
Le rêve Prométhéen à portée de bourse !
Sept semaines.
Sept, le chiffre de la sagesse spirituelle, la réflexion, la méditation. C'est le chiffre des énigmes de l’existence, des mystères non résolus et de la quête de vérité.
C’est de très bon augure.
Si j’ai bien compris, on ne nous propose rien de moins que la jeunesse éternelle et la vie sans fin !
Fini la scandaleuse question de sa finitude, on est loin ici du pragmatisme résigné de la perte programmée de ses charmes.
Fini l’exploration inquiète des miroirs qu’on interroge, la découverte navrée des premiers cheveux blancs, de la ride à peine naissante mais assassine.
Fini la sénescence du corps, la hantise de l’Ehpad, l’organisation des obsèques, le partage des biens. À qui donner quoi ? Quel est l’héritier le plus aimant le plus sincère. Tout ce qui m’appartient ne m’est plus loué pour un temps, il sera à moi pour toujours.
J’ai d’abord pensé, à une immortalité toute symbolique.
Une immortalité de pacotille, avec habit vert d’Académicien et sa place au mausolée entouré des cadavres célèbres du Panthéon.
J’ai songé aux grands hommes de la nation, aux héros, aux écrivains et poètes, aux musiciens, aux peintres, à tous ceux dont l’œuvre et la stature perdurent à travers les siècles.
À ceux dont la présence sur terre n’est ni nécessaire, ni indispensable à les maintenir en pleine lumière, confits de gloire pour l’éternité.
Je pensais aussi à “l’immortalité“ l’un des merveilleux romans de Milan Kundera…
Pour tout dire, j’étais décontenancé, mais j’enfourchais cette utopie, cette proposition chimérique, avec un élan inhabituel, je me sentais bouillant d’énergie et d’enthousiasme !
Aucun de mes combats n’égalera jamais ce dernier projet fatidique et irrévocable : Terrasser la mort !
Devenir un dieu Grec, échapper à Thanatos, se gaver de nectar, se rouler dans l’ambroisie. Vivre indéfiniment sur le Mont Olympe, dans un de ses jardins secrets…
J’ai réussi par le journal à avoir les coordonnées de l’agence émettrice. On m’a aiguillé jusqu’à madame Bronstein, la tête pensante de l’entreprise.
C’est une voix caressante qui m’a accueilli.
Une voix de jeune femme claire, musicale et veloutée.
D’emblée séduit, l’esprit troublé ; seule ma curiosité, avide d’information, a réussi à garder quelque lucidité.
Je ne me souviens plus de la teneur exacte de notre mini conversation, tant j’étais ému, l’essentiel étant :
-On ne vous promet pas un avenir radieux à “venir“, non !!
C’est là tout de suite. Aussitôt les formulaires d’inscriptions remplis et les clauses du contrat acceptées et signées, la formation débutera.
Vous verrez, vous serez bien chez nous, l’enceinte est très protégée. Comme dans une cage de faraday, vous serez à l’abri, des ondes électromagnétiques perturbantes, des champs électriques si néfastes.
Bien avant Démocrite et les Épicuriens est née l’idée d’un univers infini. Nos collaborateurs et nos savants ont trouvé une faille, un accès à ce temps illimité. Nous les transhumanistes, grâce aux Nano et Bio technologies, en relation constante avec nos spécialistes de l’intelligence artificielle, nous visons à augmenter l’homme au point de vaincre la mort…
-S’agit-il uniquement de l’immortalité de l’âme comme en religion
-Non il s’agit aussi de celle du corps.
-S’agit-il de cryogénisation en vue d’être ressuscité par la suite
-Pas du tout, la cryogénie est un mode de sépulture, elle n’est pas tolérée en France, et nous ne la pratiquons pas !
-Devenir une entité numérique pour parler à mes proches même après mon décès ?
-Chez nous le décès n’est pas à l’ordre du jour !
Je comprends votre perplexité…
Nous répondrons à toutes vos questions.
Un nouveau cycle démarre à la fin du mois prochain.
Prenons d’ores et déjà rendez-vous.
-Mille merci de m’accueillir Madame Bronstein
-Merci à vous, nous ne sommes que des passeurs…
Je suis sorti de cet entretien abasourdi.
Incroyable ! Et dire qu’hier encore j’aurais pu mourir !
D’y penser j’en ai froid dans mes pauvres testicules, toutes figées.
Les séances de rayons et les piqures d’hormones prescrites après un cancer de la prostate, ont eu raison de mes érections…
Vivement la jeunesse éternelle !!
Inutile de décrire par le menu l’impatience irréductible qui m’envahit, me submergea, pris possession de tout mon être.
Une fébrilité inouïe, jamais ressentie avant cet épisode de ma vie. Mon univers onirique sens dessus dessous, restituait mon attente fiévreuse, mon désir irrépressible de sauter sur mon portable, d’appeler l’agence, de harceler Madame Bronstein…
Ma raison seule s’efforçait d’endiguer le flot, de retenir ma frénésie…
Le temps ne passait pas, il ne s’écoulait pas, il suintait comme sur un mur humide et lépreux, avec une cadence au ralenti, un tempo démultiplié,
il exsudait une eau fétide, une humeur mauvaise traversée par l’angoisse et le mauvais sang.
Cette attente tournait au véritable cauchemar !
Je me renseignais auprès de mes amis chers.
Ils ne sont hélas pas tous biologistes, philosophes, gérontologues ou scientifiques. Je sondais leur intérêt pour cette chose injuste, scandaleuse :
La mortalité biologique de l’humanité !
Sans toutefois dévoiler le sujet de mes préoccupations, je leur parlais de mon engouement récent, je recueillais leur opinion sur le ralentissement, voire l’arrêt du vieillissement cellulaire.
Dubitatif, ils émettaient des avis assez tranchés.
Tous me disaient qu’il valait mieux se résigner, accueillir la mort avec sagesse. Qu’elle était le sel de la vie, l’expérience ultime et enrichissante.
L’au-delà était “ l’espace “ des révélations…
L’autre côté du décor et ses mystères nous attendent tous, pour nous dévoiler le sens profond de la vie… Le reste n’est qu’imposture !
Je n’étais pas convaincu !
À l’approche de la fin du mois je n’étais plus qu’un cheval en transe, qui piaffe et hennit avant une course.
Au comble de l’excitation.
Je dormais mal, ne mangeais presque plus et buvais trop.
Je consultais mon journal quotidien.
La rubrique nécrologique m’intéresse toujours.
Avec le temps beaucoup de mes amis ont lâché l’affaire et c’est parfois là que j’apprends leur mort …
Ce matin-là, je tombe sur quelques lignes, qui me saisissent littéralement !! Impossible ! Je ne veux pas y croire !!
Je ne peux pas y croire !!
Non pas ça ! Pas elle ! C’est une erreur !!
Je saute sur le téléphone.
Au bout du fil, la voix de jeune femme caressante, claire, musicale et veloutée que j’attends, a effectivement disparue.
J’ai un interlocuteur à qui d’une voix tremblante, je demande à parler à madame Bronstein !
Le type confirme sa disparition, me dit combien sa fin fut douloureuse…
Assailli de critiques visant à la déstabiliser, harcelée en permanence par la justice, un essaim de complotistes, de religieux, de médecins, d’hommes politiques, de marchand d’armes, que notre agence et ses activités dérangeaient.
Des voyous d’une lâcheté impensable, l’insultaient sur les réseaux sociaux, sans jamais signer leur malveillance ordurière, ils venaient grossir les rangs de ceux qui traitaient madame Bronstein de malhonnête, d’escroc, de figure de proue du charlatanisme, d’association de malfaiteurs…
C’est ça qui l’a tué, un cancer fulgurant !!
Elle va beaucoup nous manquer.
Avec madame Bronstein c’est l’immortalité qu’on enterre…

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